Pour rappel, la « loi Travail » du 8 août 2016 a encadré les expertises qui pouvaient alors être diligentées par le CHSCT en cas de « risque grave, identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel » constaté dans l’établissement, ou en cas de « projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ».
L’article L. 4614-13 alinéa 3 du Code du travail, créé par cette loi, prévoyait notamment, s’agissant des frais d’expertise :
« Les frais d’expertise sont à la charge de l’employeur. Toutefois, en cas d’annulation définitive par le juge de la décision du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou de l’instance de coordination, les sommes perçues par l’expert sont remboursées par ce dernier à l’employeur. Le comité d’entreprise peut, à tout moment, décider de les prendre en charge dans les conditions prévues à l’article L. 2325-41-1 ».
Ainsi, lorsqu’à la suite d’une contestation de l’employeur, la délibération par laquelle le CHSCT avait décidé de recourir à l’expertise était définitivement annulée par la justice, l’expert devait rembourser à l’employeur les sommes qui lui avaient déjà été versées.
Afin d’échapper à cette obligation de remboursement, un expert a soutenu que le mécanisme de remboursement instauré par la loi Travail contrevenait à plusieurs principes constitutionnels.
Dans le cadre d’un contentieux l’ayant opposé à l’employeur, la question prioritaire suivante a ainsi été transmise à la Cour de cassation :
« L’article L. 4614-13, alinéa 3, deuxième phrase, du code du travail, dans sa version applicable au litige, issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, en ce qu’il impose à l’expert de rembourser les sommes perçues pour une expertise qu’il a réalisée en vertu d’une délibération du CHSCT après que le tribunal (ou la cour d’appel) a rejeté la requête en annulation de cette délibération aux termes d’une décision annulée par un arrêt de la Cour de cassation suivi d’une décision définitive d’annulation prive-t-il de toute protection le droit de propriété de l’expert consacré par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et méconnaît-il le droit au maintien de l’économie des conventions légalement conclues découlant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789, le principe de responsabilité découlant de l’article 4 de la Déclaration de 1789 et les droits de participation des travailleurs à la détermination des conditions de travail et de protection de la santé des travailleurs découlant des huitième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 ? ».
Aux termes d’une décision rendue le 19 janvier 2022, la Cour de cassation a néanmoins estimé que cette question ne présentait pas un caractère sérieux dans la mesure où :
« 12. D’abord, il résulte de l’article L. 4614-13, alinéa 3, du code du travail, selon lequel, si les frais d’expertise sont à la charge de l’employeur, en cas d’annulation définitive par le juge de la décision du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les sommes perçues par l’expert sont remboursées par ce dernier, que l’existence d’une créance de l’expert à l’égard de l’employeur, relevant du droit de propriété au sens des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, est subordonnée au caractère définitif de la décision de ce comité.
13. Ensuite, ne ressortent pas au droit au maintien de l’économie des conventions légalement conclues découlant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 les dispositions légales afférentes aux frais d’expertise définies à l’article L. 4614-13, alinéa 3, du code du travail.
14. Enfin, l’obligation faite par l’article L. 4614-13, alinéa 3, du code du travail, à l’expert, de rembourser à l’employeur les sommes qu’il a perçues, en cas d’annulation définitive par le juge de la décision du comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail répond, d’une part, aux exigences constitutionnelles de participation des travailleurs à la détermination des conditions de travail ainsi que de protection de la santé des travailleurs, qui découlent des huitième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, en ce qu’elle permet l’exercice par ce comité du droit à expertise nonobstant l’absence de budget propre, et, d’autre part, aux exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789, en ce qu’elle garantit le respect du droit au recours effectif de l’employeur. Elle est proportionnée à ces objectifs et ne méconnaît pas le principe de responsabilité découlant de l’article 4 de la Déclaration de 1789 dans la mesure où elle ne vaut que dans le cas d’annulation définitive de la décision dudit comité et où le comité d’entreprise peut, à tout moment, décider de prendre en charge les frais d’expertise dans les conditions prévues à l’article L. 2325-41-1 du code du travail ».
La Haute Juridiction n’a ainsi pas transmis la question au Conseil constitutionnel, et validé de ce fait le mécanisme imposant à l’expert de rembourser les sommes versées par l’employeur.
A noter que, suite à la mise en place de l’institution unique de représentation du personnel, les expertises jusqu’alors diligentées par le CHSCT peuvent aujourd’hui l’être par le Comité Social et Economique (CSE).
A ce sujet, l’article L. 2315-86 du Code du travail, aujourd’hui en vigueur, dispose, s’agissant des expertises diligentées par cette instance :
« En cas d’annulation définitive par le juge de la délibération du comité social et économique, les sommes perçues par l’expert sont remboursées par ce dernier à l’employeur. Le comité social et économique peut, à tout moment, décider de les prendre en charge ».
Il reprend donc les termes de l’article L. 4614-3, alinéa 3, du Code du travail, aujourd’hui abrogé.
Aussi, bien que la décision de la Cour de cassation ait été rendue s’agissant d’une délibération d’un CHSCT et de l‘article L. 4614-3 du Code du travail, elle apparaît transposable aux délibérations aujourd’hui rendues par le CSE.
https://www.courdecassation.fr/decision/61e7b7dea41da869de68a281