Saisi notamment par le CSE de l’UES SUEZ, le Tribunal judiciaire de Paris, en sa formation de référé, a rendu une décision le 9 octobre 2020 ordonnant la suspension :
– de l’opération résultant de l’offre d’acquisition par VEOLIA des actions SUEZ détenues par ENGIE et l’OPA de VEOLIA sur SUEZ, et
– des effets de la cession des actions détenues par ENGIE au sein des sociétés SUEZ au profit de VEOLIA,
tant que les instances représentatives du personnel de SUEZ concernées par l’opération n’ont pas été informées et consultées sur les décisions déjà prises et annoncées par voie de presse par VEOLIA et ENGIE.
Les instances représentatives du personnel de SUEZ, suivies dans leur argumentation par SUEZ – une fois n’est pas coutume –, invoquaient l’existence d’un trouble manifestement illicite aux motifs que la décision de rachat de SUEZ par VEOLIA avait été déjà prise sans que les CSE concernés par l’opérations n’aient été informés et consultés, et alors que les conséquences sur l’emploi seraient importantes.
Ils sollicitaient en conséquence du Tribunal qu’il ordonne la suspension de toute opération conduisant au rapprochement des groupes SUEZ et VEOLIA.
SUEZ faisait valoir de son côté que les représentants du personnel de SUEZ n’avaient pas à être informés et consultés à ce stade, considérant que la seule opération envisagée consistait en une éventuelle prise de participation par VEOLIA dans SUEZ.
Quant à ENGIE, elle soulevait une fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt et de qualité des CSE de SUEZ à son égard, au motif qu’un CSE n’est recevable à agir qu’à l’encontre de la société au sein de laquelle il est établi et qui est seule responsable de la conduite des procédures d’information-consultation.
Le Tribunal a d’abord écarté l’argument tiré d’une fin de non-recevoir considérant que les CSE requérants agissaient sur le terrain d’un trouble manifestement illicite, mais ne demandaient pas au Tribunal d’ordonner à VEOLIA et ENGIE d’engager une procédure d’information-consultation, laquelle incombait effectivement à SUEZ.
Ensuite, le Tribunal a donné gain de cause à SUEZ et à ses instances représentatives du personnel en faisant application d’une jurisprudence constante sur le sujet, considérant que :
– la consultation du CSE doit précéder les décisions de l’employeur, même si le projet n’est pas parfaitement déterminé ni abouti,
– lorsque le projet s’inscrit dans une procédure complexe comportant des décisions échelonnées, comme c’était le cas en l’espèce, le CSE doit être consulté à l’occasion de chacune d’elles.
Le Tribunal a également considéré qu’il n’était en l’espèce pas sérieusement contestable que le projet envisagé aura nécessairement des conséquences sur l’organisation économique et juridique du groupe SUEZ, ce qui justifiaient une information-consultation préalable des CSE concernés.
À ce titre, le Tribunal indique que l’information-consultation doit être menée loyalement.
Or, il relève que ni VEOLIA ni ENGIE n’avaient fourni à SUEZ les informations nécessaires pour permettre à ses instances représentatives du personnel de rendre un avis. Le Tribunal en tire deux conclusions :
– SUEZ s’est trouvée dans l’impossibilité de respecter son obligation légale d’information-consultation, ce qui est sanctionné pénalement sur le fondement du délit d’entrave,
– VEOLIA et ENGIE, en plaçant SUEZ devant le fait accompli, l’ont mise dans l’incapacité de respecter ses obligations légales, ce qui constitue un trouble manifestement illicite.
En conséquence, en plus de suspendre le rachat de SUEZ par VEOLIA dans l’attente de l’information-consultation des instances représentatives du personnel de SUEZ, le Tribunal a ordonné à VEOLIA et à ENGIE de transmettre à SUEZ les informations nécessaires à l’information et à la consultation de leurs salariés
VEOLIA a fait appel de cette ordonnance, laquelle reste toutefois exécutoire par provision.