Dans un arrêt du 25 novembre 2020 (n°17-19.523), la Cour de cassation admet la possibilité de produire devant le juge prud’hommal un moyen de preuve illicite, portant atteinte au droit à la vie personnelle du salarié.
En l’espèce, un salarié engagé par une agence de presse a été licencié pour faute grave au motif d’une usurpation de données informatiques.
La Société a établi les faits reprochés au salarié au moyen d’un constat d’huissier et le recoupement d’informations issues de fichiers de journalisation permettant d’identifier l’adresse IP utilisée pour l’envoi des messages incriminés qui était celle du salarié licencié.
Le salarié a contesté son licenciement en faisant notamment valoir que les informations collectées avant toute déclaration à la CNIL par un système de traitement automatisé de données personnelles comme la collecte des adresses IP, permettant d’identifier indirectement une personne physique ou encore le traçage des fichiers de journalisation, constituent des éléments de preuve illicites devant être déclarés irrecevables.
La Cour d’appel de Paris a jugé le licenciement fondé sur une faute grave au motif que les logs, fichiers de journalisation et adresses IP ne sont pas soumis à une déclaration à la CNIL, de sorte que la preuve opposée au salarié était licite.
Ce raisonnement est censuré par la Cour de cassation.
Aux termes d’un arrêt du 25 novembre 2020 (n°17-19.523), la Cour de cassation juge que les adresses IP et les fichiers de journalisation constituent des données à caractère personnel dont le traitement doit faire l’objet d’une déclaration préalable à la CNIL, de sorte qu’en l’espèce, la preuve était illicite.
Elle rappelle ainsi qu’ « en application des articles 2 et 22 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données (RGPD), les adresses IP, qui permettent d’identifier indirectement une personne physique, sont des données à caractère personnel, au sens de l’article 2 susvisé, de sorte que leur collecte par l’exploitation du fichier de journalisation constitue un traitement de données à caractère personnel et doit faire l’objet d’une déclaration préalable auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés en application de l’article 23 de la loi précitée ».
La Haute juridiction précise, toutefois, que l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve :
« Il y a donc lieu de juger désormais que l’illicéité d’un moyen de preuve, au regard des dispositions de la loi n° 78 17 du 6 janvier 1978 modifiée par la loi n° 2004 801 du 6 août 2004, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données, n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».
Si la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié avait été admise à la condition qu’elle soit « nécessaire » à l’exercice du droit à la preuve (Cass. soc. 9 novembre 2016, n°15-10.203), elle doit, semble-t-il désormais être « indispensable » à l’exercice de ce droit.
https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/1119_25_45978.html