Dans un arrêt du 11 octobre 2022 (n°21-86.482), la Chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé l’essentiel des dispositions d’une décision des juges du fond ayant déclaré coupables deux gérants de sociétés, l’un en France, l’autre en Bulgarie, du chef de travail dissimulé par dissimulation de salarié, entre autres.
Dans cette espèce, il était reproché au premier de ces gérants d’avoir été finalement l’employeur de quatre ouvriers étrangers mis à disposition par le second gérant dans le cadre d’une « fausse sous-traitance », et d’avoir ainsi omis intentionnellement de leur remettre un bulletin de paie, de procéder à leur déclaration nominative préalable à l’embauche et de déclarer le nombre d’heures de travail réellement effectuées.
Pour retenir la responsabilité pénale de ces deux gérants, le premier en tant qu’auteur, le second comme complice, les juges du fond, confirmés par la Cour de cassation, ont relevé notamment que :
- aucune déclaration de détachement des salariés bulgares n’avait été enregistrée par l’URSSAF et aucune déclaration préalable à l’embauche n’avait été régularisée,
- le jour du contrôle, les quatre ouvriers avaient désigné leur employeur comme étant le gérant de la société située en France, et non celui résidant en Bulgarie,
- il y avait une « fausse sous-traitance » entre ces deux gérants, le premier ayant été précédemment l’employeur du second qui n’avait par ailleurs aucune indépendance, ni autonomie même si ce dernier avait créé une « véritable entreprise » en Bulgarie et non une « coquille vide ».
Les magistrats se sont ainsi détachés des termes du contrat de sous-traitance pour le requalifier en relation délictuelle entre les deux prévenus qui portait en outre sur une « activité non négligeable », c’est-à-dire allant au-delà de l’emploi dissimulé des quatre ouvriers et découvert lors du contrôle.
De même, il n’a pas été retenu la « délégation de pouvoirs » invoquée par le gérant de la société française pour s’exonérer de sa responsabilité pénale, faute de pouvoir l’établir et de démontrer les manquements qu’il reprochait à son Comptable, les juges rappelant à cet égard que « les obligations déclaratives auprès des organismes sociaux et de l’administration fiscale reposent sur le chef d’entreprise ».
Le présent arrêt de la Cour de cassation est également didactique dans la motivation des peines prononcées.
La Haute juridiction a ainsi confirmé les condamnations prononcées par les juges du fond à l’encontre du gérant situé en Bulgarie, reconnu coupable en tant que complice pour avoir mis à disposition les ouvriers non déclarés – soit six mois d’emprisonnement avec sursis et 1.500 euros d’amende -, après avoir relevé que ces condamnations étaient proportionnées par rapport :
- au fait qu’il n’y avait pas mention sur son casier judiciaire et que le prévenu déclarait employer 30 personnes en 2019 et gérait une société ayant fait deux millions de bénéfices en 2018,
- et au fait que « le travail clandestin est un délit qui heurte l’ordre public socio-économique de plein fouet en ce qu’il nuit aux intérêts non seulement des salariés mais aussi des employeurs qui respectent les obligations légales, de sorte que ce délit porte sérieusement atteinte à la solidarité nationale qui pourvoit à la protection des travailleurs, fait obstacle au jeu d’une concurrence saine et loyale entre les entreprises et fausse en conséquence les règles fondamentales qui gouvernent l’économie ».
Rappelons en effet que le juge pénal, lorsqu’il entre en voie de condamnation notamment en matière délictuelle, doit motiver les sanctions prononcées (Code pénal, articles 132-1 et 132-20).
Quant aux condamnations prononcées à l’encontre du gérant situé en France (à savoir huit mois d’emprisonnement avec sursis, 1.500 euros d’amende et trois ans d’interdiction de gérer pour travail dissimulé et banqueroute), la Cour de cassation a cassé la décision de la Cour d’appel sur ce point et renvoyé le dossier à une autre Cour, en raison d’une contradiction dans le dispositif de cette décision et celui du jugement du tribunal correctionnel.
Les deux juridictions du fond n’ont pas eu la même conclusion sur le cumul de l’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié (Code du travail, article L. 8221-5) avec celle de travail dissimulé par dissimulation d’activité (Code du travail, article L. 8221-3) qui étaient visées dans l’acte de poursuite à l’encontre de ce gérant, sachant qu’à cet égard, la Haute juridiction a rappelé qu’il s’agissait de deux infractions distinctes, impliquant donc de démontrer pour l’accusation la réunion de leurs éléments constitutifs respectifs.