Par une décision du 6 mars 2024 (n°22-11.016), la Cour de cassation s’est prononcée sur la tenue de propos à caractère racistes et xénophobe par une salariée tenue à une obligation de neutralité, via sa messagerie professionnelle.
En l’espèce, une salariée de la CPAM a été licenciée pour faute grave pour avoir envoyé des messages à caractère raciste et xénophobe à d’autres salariés de la CPAM via sa messagerie professionnelle. Elle a saisi la juridiction prud’homale afin de remettre en cause la légitimité de ce licenciement et d’obtenir le versement de diverses sommes à titre de rappel de salaire pendant sa mise à pied conservatoire, d’indemnité compensatrice de préavis, d’indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La Cour d’appel de Toulouse a accueilli ses demandes, en retenant notamment que :
– que les propos que la salariée avait pu tenir « s’inscrivaient dans le cadre d’échanges privés à l’intérieur d’un groupe de personnes, qui n’avaient pas vocation à devenir publics, et qui n’ont été connus par l’employeur que suite à une erreur d’envoi » ;
– Et que si elle « était tenue à un devoir de neutralité dans le cadre de ses fonctions, elle pouvait user de sa liberté d’expression et exprimer ses opinions dans un cadre privé, quelles qu’elles soient, dès lors que ces opinions ne transparaissaient pas dans l’exercice de son emploi et que la salariée ne tenait aucun propos raciste ou xénophobe dans la sphère professionnelle » (Cour d’appel, Toulouse, 4e chambre, 2e section, 26 Novembren2021 – n° 19/04850).
La CPAM a formé un pourvoi de cassation à l’encontre de cette décision.
Dans le cadre de ce pourvoi, elle a fait valoir que :
– Les salariés des caisses de sécurité sociale qui sont soumis au principe de neutralité et de laïcité du service public, ne peuvent pas, sans commettre une faute grave ou à tout le moins une faute constitutive d’une cause réelle et sérieuse de licenciement, utiliser la messagerie mise à leur disposition pour diffuser, auprès d’autres agents, des propos racistes ou xénophobes, le règlement intérieur de la CPAM et la charte d’utilisation de la messagerie électronique interdisant au surplus expressément tout propos raciste ou discriminatoire comme la provocation à la discrimination ;
– Le fait pour un salarié d’utiliser la messagerie électronique que l’employeur met à sa disposition pour émettre, dans des conditions permettant d’identifier l’employeur, un courriel contenant des propos racistes ou xénophobes est constitutif d’une faute grave.
Dans son arrêt du du 6 mars 2024 (n°22-11.016), la Cour de cassation a rejeté l’argumentation de la CPAM et le pourvoi qu’elle a formé à l’encontre de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Toulouse.
Elle a commencé par rappeler que « le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée » et qu’à ce titre, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a eu l’occasion de juger qu’un « motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (Ass. plén., 22 décembre 2023, n° 21-11.330) ».
Elle a poursuivi son raisonnement, en considérant que pour rendre sa décision, la Cour d’appel avait relevé que :
– Les messages litigieux s’inscrivaient dans le cadre d’échanges privés à l’intérieur d’un groupe de personnes, qui n’avaient pas vocation à devenir publics et n’avaient été connus par l’employeur que suite à une erreur d’envoi de l’un des destinataires ;
– La lettre de licenciement ne mentionnait pas que les opinions exprimées par la salariée dans ces courriels auraient eu une incidence sur son emploi ou dans ses relations avec les usagers ou les collègues et que l’employeur ne versait aucun élément tendant à prouver que les écrits de l’intéressée auraient été connus en dehors du cadre privé et à l’extérieur de la CPAM concernée et que son image aurait été atteinte ;
– Si le règlement intérieur interdisait aux salariés de la CPAM d’autoriser pour leur propre compte sans autorisation préalable les équipements appartenant à la caisse, y compris dans le domaine de l’informatique, un salarié pouvait toutefois utiliser sa messagerie professionnelle pour envoyer des messages privés dès lors qu’il n’en abusait pas et, qu’en l’espèce, l’envoi de neuf messages privés en l’espace de onze mois ne saurait être jugé comme excessif.
Elle en a conclu que la Cour d’appel avait « exactement déduit que l’employeur ne pouvait, pour procéder au licenciement de la salariée, se fonder sur le contenu des messages litigieux, qui relevaient de sa vie personnelle ».
Ce faisant, la Cour de cassation rejette le pourvoi, sans répondre à l’argument mis en avant par l’employeur tendant notamment à soutenir que la charte d’utilisation de la messagerie électronique interdisait expressément tout propos raciste ou discriminatoire, de sorte qu’en tenant de tels propos via cette messagerie, le salarié a violé ses obligations professionnelles.
Elle se contente de reprendre l’argumentation développée par la Cour d’appel, notamment sur le nombre de messages adressés, ce qui n’était pas l’objet du débat, étant au surplus rappelé que dans l’arrêt de l’Assemblée plénière auquel elle se réfère pour justifier sa décision, les propos avaient été tenus via la messagerie intégrée au compte personnel de l’intéressé (Ass. plén., 22 décembre 2023, n° 21-11.330).
Il est d’ailleurs permis de s’interroger sur la solution qui aurait pu être retenue si contrairement aux faits de l’espèce :
– La CPAM n’avait pas eu connaissance de ces messages fortuitement, après une erreur d’envoi, mais par suite d’une plainte de l’un des salariés, qui aurait par exemple était rendu destinataire de l’un des messages litigieux ;
– La lettre de licenciement, fixant les limites du litige, avait fait état d’une incidence particulière des messages envoyés via sa messagerie professionnelle sur son emploi ou dans ses relations avec ses usagers et ses collègues.
Dans ces différentes hypothèses, l’exclusion d’une faute grave serait, en effet, d’autant moins compréhensible.