Pour la première fois, la chambre sociale de la Cour de cassation était saisie d’une question d’interprétation des articles 2 à 4 de l’ordonnance n°2020-323 du 25 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière de congés payés, de durée de travail et de jours de repos. (Cass. soc. 6 juillet 2022 n°21-15.589). La Cour de cassation a joint une notice explication à son arrêt.
Pour mémoire, lors de la 1ère vague du Covid-19 et du premier confinement, ces mesures ont permis aux employeurs, lorsque l’intérêt de l’entreprise le justifiait, eu égard aux difficultés économiques liées à la pandémie, d’imposer au salariés de prendre des jours de repos acquis au titre de réduction du temps de travail (RTT), des jours de repos prévus par une convention de forfait ou de jours de repos résultant de l’utilisation des droits affectés sur le compte épargne-temps du salarié, et ceci nonobstant les dispositions légales ou conventionnelles applicables.
En l’espèce, un syndicat avait saisi le juge des référés du Tribunal judiciaire afin de faire cesser le trouble manifestement illicite résultant de la mise en œuvre de notes de service en date des 26 mars et 29 avril 2020 établies par plusieurs Sociétés d’un groupe pharmaceutique, et relatives à l’application des articles 2 à 4 de l’ordonnance du 25 mars 2020, et en rétablissement des droits des salariés concernés.
Ces notes prévoyaient d’imposer la prise de jours de repros ou de jours épargnés sur le compte-épargne temps, tant aux salariés qui ne pouvaient exercer leur activité en télétravail au cours du confinement qu’aux salariés ne pouvant exercer leur activité en télétravail et maintenus à domicile, après le 4 mai 2020, pour garder un enfant de moins de 16 ans ou en raison de leur vulnérabilité au covid-19 ou de celle partageant leur domicile.
Les Sociétés ont formé un pourvoi en cassation à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris ayant considéré que ces mesures prises par elles dans la note de service du 29 avril 2020 constituaient un trouble manifestement illicite.
Il est reproché à la Cour d’appel d’avoir :
- Jugé qu’étaient impératives les dispositions de l’article 20 de la loi de finance rectificative n° 2020-473 du 25 avril 2020 (régime activité partielle post confinement) ayant substitué à compter du 1er mai 2020 pour les salariés empêchés de travailler pour garde d’enfants de moins de 16 ans ou en raison de leur vulnérabilité, le dispositif d’activité partielle au dispositif d’arrêt de travail dérogatoire dont ces salariés bénéficiaient jusqu’alors, pour en déduire que les sociétés du groupe Sanofi auraient dû les placer en activité partielle à compter de cette date et ne pouvaient en conséquence leur imposer la prise de jours de repos en application des articles 2 et 4 de l’ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2022 ;
- Considéré que l’employeur devait justifier de difficultés économiques qui lui sont propres pour avoir recours au dispositif dérogatoire prévu aux articles 2 et 4 de l’ordonnance du 25 mars 2020.
La Cour de cassation, dans son arrêt du 6 juillet 2002, a cassé la décision des juges du fond, en considérant que :
- le recours aux mesures prévues par les articles 2 à 4 de l’ordonnance n’était pas limité à la seule situation de difficultés économiques. Ces dispositions pouvaient être mobilisées par l’employeur lorsque la crise sanitaire avait un retentissement sur le fonctionnement de l’entreprise ;
- Il incombait à l’employeur de prouver la réalité du retentissement de la crise sanitaire sur le fonctionnement de l’entreprise, sans que le juge ne puisse substituer son appréciation à celle de l’employeur sur le choix de recourir à ces mesures dérogatoires si cette preuve était rapportée ;
- Un employeur de salariés relevant de cette situation particulière (impossibilité de travailler en présentiel pour des raisons personnelles de certains salariés) n’était pas tenu de recourir à l’activité partielle, et ainsi à la solidarité nationale, et pouvait décider d’assurer le maintien de la rémunération et des avantages découlant du contrat de travail, malgré l’impossibilité de travailler des salariés. Toutefois, dans ce cas, l’employeur ne pouvait pas appliquer à ces salariés, au motif qu’ils étaient dans l’impossibilité de travailler, les dispositions des articles 2 à 4 de l’ordonnance n°2020-323 du 25 mars 2020 et leur imposer la prise de jours de repos. En effet, ces dernières mesures visaient à répondre à la situation concrète de l’entreprise et ne sauraient être mobilisées en raison de la situation personnelle de certains salariés dans l’impossibilité de travailler.
https://www.courdecassation.fr/decision/62c52759a2c42363790793d3