L’article L. 1332-4 du Code du travail dispose qu’ « aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance ».
Aux termes de deux arrêts rendus le 23 juin 2021, la Cour de cassation est venue préciser que « l’employeur » visé par ce texte devait également s’entendre du supérieur hiérarchique du salarié, même non titulaire du pouvoir disciplinaire :
« L’employeur, au sens de ce texte, s’entend non seulement du titulaire du pouvoir disciplinaire mais également du supérieur hiérarchique du salarié, même non titulaire de ce pouvoir ».
Cette conception large de la notion d’employeur appelle à la plus grande vigilance, tant ses conséquences pratiques peuvent être importantes pour l’employeur.
Les deux arrêts commentés l’illustrent parfaitement.
Dans la première espèce, a ainsi été retenue la prescription des faits fautifs, qui avaient été portés à la connaissance du supérieur hiérarchique du salarié sanctionné plus de deux mois avant sa convocation à entretien préalable.
L’employeur faisait pourtant valoir que ce dernier ne disposait d’aucun pouvoir disciplinaire à l’égard du salarié :
« Pour écarter le moyen tiré de la prescription du fait fautif, l’arrêt retient que la convocation du salarié à l’entretien préalable à la date du 7 juin 2012 a interrompu le délai de prescription. Il ajoute que, contrairement à ce que soutient le salarié, la société a été informée des faits de dénigrements qui lui sont reprochés, survenus le 6 avril 2012, le 17 avril suivant lorsque M. [X], formateur, qui ne disposait d’aucun pouvoir disciplinaire à l’égard du salarié, a transmis son rapport sur ces événements à la direction de la société. Il en déduit que la société a eu connaissance des faits qu’elle entend reprocher à son salarié moins de deux mois avant l’engagement de la procédure de licenciement intervenue le 7 juin 2012, de sorte qu’ils ne sont pas frappés de prescription et peuvent valablement être invoqués au soutien du licenciement sans qu’il ne soit nécessaire de répondre au moyen tendant à contester leur réitération s’ils étaient jugés prescrits ».
Cet argumentaire n’a toutefois pas été suivi.
De même, dans la seconde espèce, un salarié avait fait l’objet le 4 janvier 2013 d’un avertissement en raison d’absences injustifiées et de négligences constatées en octobre et novembre 2012.
Il avait par suite été licencié pour faute grave, pour d’autres faits commis le 30 décembre 2012, le 18 janvier 2013.
Le salarié contestait la mesure de licenciement prononcée au motif que l’employeur avait épuisé son pouvoir disciplinaire en notifiant un avertissement le 4 janvier 2013. Il faisait en effet valoir que sa supérieure hiérarchique était informée des faits ayant motivé le licenciement dès le 31 décembre 2012 (soit antérieurement à la notification de l’avertissement), et rappelait le principe désormais bien établi selon lequel lorsque l’employeur, informé de différents faits considérés comme fautifs, choisit de n’en sanctionner que certains, il ne peut plus prononcer ultérieurement une nouvelle mesure disciplinaire pour sanctionner les autres faits connus et antérieurs à la première sanction.
Son argumentaire est retenu par la Cour de cassation, qui censure l’arrêt de la Cour d’appel ayant jugé que le licenciement était justifié :
« Vu l’article L. 1331-1 du code du travail :
6. Il résulte de ce texte que l’employeur qui, ayant connaissance de divers faits commis par le salarié, considérés par lui comme fautifs, choisit de n’en sanctionner que certains, ne peut plus ultérieurement prononcer une nouvelle mesure disciplinaire pour sanctionner les autres faits antérieurs à la première sanction.
7. L’employeur, au sens de ce texte, s’entend non seulement du titulaire du pouvoir disciplinaire mais également du supérieur hiérarchique du salarié, même non titulaire de ce pouvoir.
8. Pour juger que l’employeur n’avait pas épuisé son pouvoir disciplinaire en notifiant un avertissement le 4 janvier 2013, l’arrêt retient que l’infirmière coordinatrice, avisée le 31 décembre 2012 des faits à l’origine du licenciement, n’avait prévenu la direction que le 15 janvier 2013.
9. En statuant ainsi, alors qu’il n’était pas contesté que l’infirmière coordinatrice était la supérieure hiérarchique du salarié, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/805_23_47381.html
https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/803_23_47378.html