Organiser la reprise (1) : Comment faire respecter les mesures de prévention ?
Par Mathilde Baudelle, Avocat, MggVoltaire
Dans le contexte sanitaire actuel, l’obligation de sécurité pèse particulièrement sur l’employeur, à qui il appartient notamment de diffuser largement les mesures de prévention nécessaires face à l’épidémie de Covid-19 (gestes barrières applicables pour tous les salariés, responsabilité de chacun de prendre soin de sa santé, mesures renforcées pour les salariés présentant un risque de contamination, etc.).
L’employeur doit également s’assurer que ces moyens de prévention sont bien respectés.
Mais comment agir face à un salarié qui s’obstinerait à ne pas les respecter ?
Est-il notamment possible de le sanctionner ?
Si les risques induits par la multiplicité des situations de travail relèvent au premier chef de la responsabilité de l’employeur, le Code du travail met également à la charge des salariés une obligation de sécurité (Art. L. 4122-1 du Code du travail).
Sur ce fondement, la Cour de cassation décide de façon constante que le non-respect par le salarié de son obligation de sécurité peut justifier la prise par l’employeur d’une sanction disciplinaire. La mise en danger de sa propre sécurité ou de celle des personnes concernées par ses actes ou ses omissions engage en effet sa responsabilité, de telle sorte qu’elle peut même justifier un licenciement pour faute grave (Cass. Soc. 6 juin 2007, n° 05-45.984).
L’article L. 4122-1 du Code du travail conditionne néanmoins l’obligation de sécurité pesant sur le salarié à l’existence d’instructions figurant dans le règlement intérieur, pour les entreprises tenues d’en élaborer un :
« Conformément aux instructions qui lui sont données par l’employeur, dans les conditions prévues au règlement intérieur pour les entreprises tenues d’en élaborer un, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail ».
Ce renvoi au règlement intérieur signifie-t-il que la possibilité de sanctionner les manquements constatés aux règles de prévention mises en place face à la pandémie de Covid-19 suppose de modifier le règlement intérieur ou, a minima, de procéder par note de service soumise au même régime juridique – et donc aux mêmes règles d’élaboration et de modification – que ce dernier ?
Pour rappel, l’article L. 1321-5 du Code du travail dispose à ce sujet que :
« Les notes de service ou tout autre document comportant des obligations générales et permanentes dans les matières mentionnées aux articles L. 1321-1 et L. 1321-2 sont, lorsqu’il existe un règlement intérieur, considérées comme des adjonctions à celui-ci. Ils sont, en toute hypothèse, soumis aux dispositions du présent titre.
Toutefois, lorsque l’urgence le justifie, les obligations relatives à la santé et à la sécurité peuvent recevoir application immédiate. Dans ce cas, ces prescriptions sont immédiatement et simultanément communiquées au secrétaire du comité social et économique ainsi qu’à l’inspection du travail ».
C’est en tout cas ce que laisse à penser le « fameux » Questions/Réponses mis en ligne par le Ministère du travail.
Sur la question de la mise en œuvre d’un contrôle systématique de la température des personnes entrant sur le site de l’entreprise (question qui sera abordée prochainement par nos soins), celui-ci affirme en effet que :
« Dans le contexte actuel, ces mesures peuvent faire l’objet de la procédure relative à l’élaboration des notes de service valant adjonction au règlement intérieur prévue à l’article L. 1321-5 du Code du travail qui autorise une application immédiate des obligations relatives à la santé et à la sécurité avec communication simultanée au secrétaire du comité social et économique, ainsi qu’à l’inspection du travail ».
A notre sens, cette analyse n’est pas pertinente (outre qu’elle se heurte potentiellement à des risques de blocage au regard des formalités liées à l’adoption ou à la modification du règlement intérieur).
L’article L. 1321-5 du Code du travail prévoit en effet que ne peuvent être considérés comme des adjonctions au règlement intérieur que les notes de services ou documents comportant des obligations générales et permanentesdans les matières relevant du règlement intérieur.
Une interprétation littérale laisse à penser que des obligations qui, bien que générales et destinées à l’ensemble du personnel, n’auraient pas vocation à être pérennes pourraient être exclues du champ du règlement intérieur.
A suivre cette analyse, les entreprises ne seraient donc pas tenues de procéder à une modification du règlement intérieur dès lors que les mesures de prévention actuelles, mises en œuvre pour faire face à une situation exceptionnelle, sont par nature temporaires.
Dans ce contexte, quelle valeur juridique leur accorder ?
Dans une décision ancienne, le Conseil d’Etat a reconnu l’existence d’un pouvoir normatif de l’employeur en dehors de celui prévu par les dispositions relatives au règlement intérieur (CE, 11 juin 1999, n° 195706). A ainsi été validée la sanction d’une faute constituée de la violation d’une note de service édictant une règle déontologique :
« Considérant, en premier lieu, qu’en jugeant que la règle à caractère déontologique contenue dans la note de service du 5 janvier 1993 s’imposait à Mme Chicard, alors même qu’elle n’avait pas été incorporée aux dispositions du règlement intérieur, la Cour administrative d’appel n’a, en tout état de cause, commis aucune erreur de droit ».
Sur ce fondement, la note de service élaborée hors champ d’application du règlement intérieur pourrait servir de fondement au prononcé d’une sanction disciplinaire. Une première décision de justice a d’ailleurs condamné l’employeur (en l’espèce, une association d’aide à domicile) à mettre en place des mesures de prévention et de protection, parmi lesquelles l’obligation « de diffuser ses consignes relatives aux conditions d’intervention et à l’emploi des équipements de protection individuelle de manière uniforme et systématique, exiger des salariés qu’ils les respectent, vérifier la bonne exécution et exiger que toute dérogation ou exception soit préalablement justifiée et validée par une autorité hiérarchique clairement identifiée et joignable, le cas échéant en urgence » (TJ Lille, Réf., 3 avril 2020, RG n° 20/00380).
Elle pourrait toutefois, en cas d’abus, être contestée par le salarié devant le juge judiciaire sur le fondement de l’article L. 1121-1 du Code du travail.
Même lorsqu’il s’exprime hors champ du règlement intérieur, le pouvoir de direction de l’employeur reste en effet soumis au respect de principes généraux (respect des libertés individuelles, interdiction des discriminations, proportionnalité des restrictions apportées à ces libertés) et s’exerce sous le contrôle du juge.
Par ailleurs, et bien qu’aucun formalisme ne soit prévu, il apparaît en tout état de cause indispensable de procéder à une large diffusion des instructions (affichage, courriel, intranet, etc.) afin de pouvoir être en mesure de démontrer que le salarié sanctionné avait bien connaissance des règles applicables.
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