L’appréciation « in concreto » du barème « Macron » : vers un droit « à la carte » ?
Yasmine TABOURI, Avocate, MGG VOLTAIRE
Le barème « Macron » est, aujourd’hui encore, soit près de quatre ans après son entrée en vigueur, toujours en débat.
En effet, malgré l’avis de la Cour de cassation du 17 juillet 2019 l’ayant jugé compatible avec les stipulations de l’article 10 de la Convention n°158 de l’Organisation internationale du travail (OIT), les juges du fond sont encore divisés à son sujet.
Il apparaît néanmoins que le débat s’est déplacé de la conventionnalité du barème vers la possibilité d’écarter l’application de la loi selon chaque cas d’espèce.
En effet, plusieurs Cours d’appel, tout en reconnaissant expressément sa conventionnalité, se sont réservé le droit, par le biais d’une appréciation « in concreto » d’écarter l’application du barème d’indemnités de l’article L. 1235-3 du Code du travail en fonction de la situation de chaque salarié.
A titre d’exemple, la Cour d’appel de Grenoble qui avait déjà exposé la possibilité d’écarter l’application du barème en juin 2020 (Grenoble, Chambre sociale, Section A, 2 juin 2020, nº17/04929) a confirmé sa position dans un arrêt du 17 juin 2021 (Grenoble, Chambre sociale, Section B, 17 juin 2021, nº 19/00956).
De même, la Cour d’appel de Paris, qui avait pourtant admis la conventionnalité de ces dispositions (Paris, Pôle 6 – chambre 8, 30 octobre 2019, n°16/05602), les a écartées dans un arrêt du 16 mars 2021 (Paris, Pôle 6, Chambre 11, 16 mars 2021, n° 19/08721) et a confirmé, plus récemment, la possibilité d’écarter l’application du barème lorsque le salarié justifie d’une situation dans laquelle celle-ci porterait une atteinte disproportionnée à ses droits (Paris, Pôle 6, Chambre 9, 16 juin 2021, nº 18/12617).
Ainsi, tout en reconnaissant expressément que le barème d’indemnités ne méconnait pas les engagements internationaux pris par la France et alors même que ces dispositions légales ont été validées par le Conseil constitutionnel (Décision CC n°2018-761 DC du 21 mars 2018), les juges du fond se reconnaissent la possibilité d’écarter l’application de la loi en fonction de chaque cas d’espèce.
Une telle position est critiquée par une partie de la doctrine, notamment au regard du fait que la notion de contrôle « in concreto » a été entendue par la Cour de cassation, comme par le Conseil d’Etat, comme étant limitée aux cas dans lesquels certaines circonstances particulières justifient de déroger, de façon exceptionnelle, à l’application générale de la loi. (CE. Ass. 31 mai 2016, n°396848 ; Communiqué officiel de la Cour de cassation concernant l’arrêt de la 1ère chambre civile du 4 décembre 2013, n°12-26066).
Comme le souligne plusieurs auteurs, un contrôle « in concreto » généralisé ouvrirait, au contraire, la possibilité de juger un litige indépendamment de la loi, proposerait « un droit pour chacun qui l’emporte sur le droit pour tous » et porterait ainsi une atteinte au principe selon lequel la loi est l’expression de la volonté générale. (Olivier Dutheiller De Lamothe, « Les cours d’appel et le contrôle in concreto : un grand malentendu », BJT janv.2020, n°112, page 53 ; Pascal Puig, « L’excès de proportionnalité », RTD civ. 2016, page 70).
Ainsi, au-delà du sujet de la conventionnalité du barème fixé à l’article L. 1235-3 du Code du travail (qui semble clos pour la plupart des Cours d’appel), c’est désormais la question d’une application de la loi « à la carte » qui est posée par une partie des juges du fond.
Un prochain arrêt de la Cour de cassation, très attendu, sur le sujet pourrait mettre fin à ces débats judiciaires qui durent depuis près de quatre ans.