L’accord de révision d’un accord reconnaissant l’existence d’une UES constitue-t-il un accord interentreprises, dont le régime est défini aux articles L. 2232-36 à L. 2232-38 du Code du travail, ou répond-t-il au régime des « accords collectifs de droit commun » ?
Telle était la question soumise à la Cour de cassation dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt du 6 mars 2024.
En l’espèce, la société Capgemini et plusieurs de ses filiales constituent depuis 1984 une UES. Le périmètre de celle-ci a été modifié à plusieurs reprises et, en dernier lieu, le 30 juillet 2014, le 16 juin 2017 et le 11 janvier 2019.
A la suite de l’acquisition du groupe Altran par le groupe Capgemini, la société Capgemini France, agissant pour le compte de l’ensemble des sociétés composant l’UES Capgemini, a engagé le 13 novembre 2020 une négociation portant sur l’éventuelle extension du périmètre de l’UES Capgemini aux sociétés du groupe Altran.
C’est dans ce cadre que le syndicat Les Indépendants engagés UNSA (LIEN-UNSA) a saisi le Tribunal judiciaire, selon la procédure à jour fixe, afin d’ordonner à la société Capgemini France, agissant pour le compte des sociétés de l’UES Capgemini, de l’inviter à la négociation ouverte le 13 novembre 2020 et portant sur la modification de la configuration de l’UES Capgemini.
Précisons à ce stade que le syndicat LIEN-UNSA avait obtenu 12% des suffrages exprimés aux dernières élections professionnelles, à l’échelle de l’UES, dans sa configuration initiale, mais non à l’échelle de l’ensemble des entreprises concernées par le nouveau périmètre de l’UES.
Le niveau de l’interentreprises a été retenu comme niveau de possible de négociation par la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. Le régime de ces accords est embryonnaire, seuls trois articles du Code du travail étant consacrés à ces accords spécifiques.
Aux termes de l’article L. 2232-36 du code du travail, « un accord peut être négocié et conclu au niveau de plusieurs entreprises entre, d’une part, les employeurs et, d’autre part, les organisations syndicales représentatives à l’échelle de l’ensemble
des entreprises concernées. »
Aux termes de l’article L. 2232-37 du même code, « la représentativité des organisations syndicales dans le périmètre de cet accord est appréciée conformément aux règles définies aux articles L. 2122-1 à L. 2122-3 relatives à la représentativité syndicale au niveau de l’entreprise, par addition de l’ensemble des suffrages obtenus dans les entreprises ou établissements concernés lors des dernières élections précédant l’ouverture de la première réunion de négociation. »
Aux termes de l’article L. 2232-38, « la validité d’un accord interentreprises est appréciée conformément aux articles L. 2232-12 et L. 2232-13. Les taux de 30 % et de 50 % mentionnés aux mêmes articles sont appréciés à l’échelle de l’ensemble
des entreprises comprises dans le périmètre de cet accord. La consultation des salariés, le cas échéant, est également effectuée dans ce périmètre ».
Enfin, postérieurement à la loi de 2016, l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 a ouvert un espace spécifique de négociation aux accords interentreprises : la mise en place d’un comité social et économique interentreprises lorsque « la nature et l’importance des problèmes communs aux entreprises d’un même site ou d’une même zone le justifie ». Ainsi selon l’article L. 2313-9 du code du travail :
« Lorsque la nature et l’importance de problèmes communs aux entreprises d’un même site ou d’une même zone le justifient, un accord collectif interentreprises conclu entre les employeurs des entreprises du site ou de la zone et les organisations syndicales représentatives au niveau interprofessionnel ou au niveau départemental peut mettre en place un comité social et économique interentreprises.
L’accord définit :
1° Le nombre de membres de la délégation du personnel du comité social et économique interentreprises ;
2° Les modalités de leur élection ou désignation ;
3° Les attributions du comité social et économique interentreprises ;
4° Les modalités de fonctionnement du comité social et économique interentreprises.
L’accord collectif peut également décider que dans les entreprises d’au moins onze salariés du site ou de la zone ayant mis en place un comité social et économique, un membre de la délégation du personnel de chaque comité social et économique participe aux réunions mensuelles. »
Il était tentant, postérieurement à ces nouvelles dispositions, d’appliquer aux accords instituant une UES le régime des accords interentreprises. Cette solution n’était pas dépourvue de toute logique puisque, rappelons-le, une UES est nécessairement composée d’entités juridiquement distinctes. Cette position était d’ailleurs soutenue par une partie de la doctrine.
L’enjeu de cette question réside dans la mesure de la représentativité des organisations syndicales : convient-il de mesurer la représentativité acquise au sein de chacune des entreprises constituant l’UES ou convient-il de mesurer cette
représentativité de manière globale dans l’ensemble de l’UES, dans sa nouvelle configuration ?
Dans son arrêt du 6 mars 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation écarte clairement le régime de l’accord interentreprises :
La Cour énonce dans un premier temps que l’accord collectif portant reconnaissance d’une unité économique et sociale, dont l’objet est essentiellement de mettre en place un comité social et économique selon les règles de droit commun prévues par le code du travail, ne constitue ni un accord interentreprises qui permet la mise en place, dans les conditions prévues par l’article L. 2313-9 du code du travail, d’un comité social et économique spécifique entre des entreprises d’un même site ou d’une même zone et dont les attributions seront définies par l’accord interentreprises, ni un accord interentreprises permettant de définir les garanties sociales des salariés de ces entreprises dans les conditions prévues par les articles L. 2232-36 à L. 2232-38 du code du travail.
Elle en déduit dans un second temps, dès lors que l’accord de révision d’un accord portant reconnaissance d’une unité économique et sociale ne constitue pas un accord interentreprises, que le syndicat UNSA devait en l’espèce être invité à la négociation de l’accord portant révision de l’unité économique et sociale.
La Cour de cassation a suivi l’avis de l’avocat général qui avait conclu à la cassation de l’arrêt d’appel. L’avocat général avait notamment relevé que le mode de calcul prévu par l’article L. 2232-37 du Code du travail relatif aux accords interentreprises « peut aboutir à ce que des organisations syndicales représentatives dans certaines des entreprises ne soient pas habilitées à participer à la négociation, faute d’être représentatives sur l’ensemble du périmètre couvert, alors précisément que la négociation a pour objet la mise en place d’un comité social et économique ».