Dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 29 novembre 2023 (n°22-10.494), une salariée a été engagée en qualité de secrétaire réceptionniste pour un médecin ophtalmologiste, sans que ne soit formalisé un contrat écrit. Un contrat de travail à durée déterminée de remplacement à temps partiel a été conclu pour la période du 6 janvier au 9 juin 2015, pour une durée hebdomadaire de 30 heures, moyennant une rémunération horaire de 18 €, congés inclus. Un avenant de renouvellement a ensuite été signé le 10 juin 2015 pour fermeture du cabinet entre les mois de décembre 2015 et juillet 2016 et cessation d’activité.
Un nouveau médecin ophtalmologiste a repris l’activité avec les deux salariés en poste, à compter du 1er juillet 2016.
La salariée a finalement été licenciée le 25 septembre 2017 et a saisi la juridiction prud’homale le 6 mars 2018 d’une demande de requalification de ses CDD en CDI et de la contestation de son licenciement.
Par jugement en date du 29 octobre 2019, le Conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt a débouté la salariée de l’intégralité de ses demandes, puis, par arrêt du 18 novembre 2021, la Cour d’appel de Versailles a :
– déclaré la salariée irrecevable en sa demande de requalification des CDD en CDI,
– annulé l’avertissement dont elle avait fait l’objet,
– condamné le médecin ophtalmologique à payer certaines sommes à titre de rappels de salaire, congés payés afférents, dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
– jugé le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse,
– débouté la salariée de ses autres demandes, à l’exception de l’article 700 du Code de procédure civile.
L’employeur a ensuite formé un pourvoi en cassation le 14 janvier 2022 et la salariée a formé un pourvoi incident le 15 juillet 2022.
Au travers de son arrêt en date du 29 novembre 2023, la Cour de cassation revient sur plusieurs points, lesquels méritent d’être soulignés.
Premièrement, l’employeur demandait à la Haute juridiction de poser une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) afin de « déterminer si la seule référence à un taux horaire congés inclus dans la formule de calcul d’une rémunération mensuelle fixe et donc payable durant les douze mois de l’année, y compris pendant les périodes de congés, le contrat prévoyant par ailleurs douze semaines de congés pour le salarié concerné, contrevient à l’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ».
Pour rappel, cet article 7 de la directive 2003/88/CE prévoit que :
« 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.
2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail ».
Sur le fondement de cet article, la CJUE, dans un arrêt du 16 mars 2006 (CJCE, 16 mars 2006, C-131/04 et C-257/04), s’est opposée à ce que :
– une partie du salaire versée au travailleur au titre du travail effectué soit affectée au paiement du congé annuel sans qu’il ne bénéficie d’un paiement supplémentaire à ce titre,
– le paiement du congé annuel minimal fasse l’objet de versement partiels étalés sur la période annuelle de travail et payés avec la rémunération au titre du travail effectué et non d’un versement au titre d’une période indéterminée au cours de laquelle le travailleur prend son congé.
En revanche, la CJUE admet que des sommes qui ont été payées, de manière transparente et compréhensible, au titre du congé annuel minimal sous la forme de versements partiels étalés sur la période annuelle de travail correspondante et payés ensemble avec la rémunération au titre du travail effectué soient imputées sur le paiement d’un congé déterminé effectivement pris par le travailleur.
La Cour de cassation, dans son arrêt du 29 novembre 2023, considère ainsi, au visa de la position de la CJUE, qu’aucun doute ne subsiste quant à l’interprétation de l’article 7 de la directive 2003/88/CE, de sorte qu’il n’y a pas lieu de poser une question préjudicielle.
Deuxièmement, toujours sur la question des congés payés, et après avoir rappelé les textes en la matière, la Haute Cour considère que :
– l’indemnité journalière et l’indemnité de congés payés doivent être distinguées : tandis que la première a vocation à compenser par l’octroi d’une indemnité la fermeture d’un établissement pendant un nombre de jours qui dépasse la durée des congés légaux annuels, la seconde vise à verser une rémunération à un salarié pendant la période de ses congés annuels ;
– l’indemnité de congés payés peut être inclue dans la rémunération forfaitaire dès lors que les conditions le justifient, à savoir la présence d’une clause contractuelle transparente et compréhensible. A cet égard, la part de rémunération qui correspond au travail doit être distinguée de celle qui correspond aux congés, et doit être précisée l’imputation de ces sommes sur un congé déterminé, effectivement pris.
Prenant en compte ces éléments, la Cour de cassation confirme le raisonnement de la cour d’appel « qui a constaté que la rémunération contractuelle se bornait à mentionner que la rémunération horaire incluait les congés payés, sans que soit distinguée la part de rémunération qui correspond au travail, de celle qui correspond aux congés, en a exactement déduit que cette clause n’était ni transparente ni compréhensible et ne pouvait être opposée à la salariée. La rémunération versée pendant les périodes de congés payés et de fermeture du cabinet correspondant non à l’indemnité de congés, mais, en raison du lissage annuel, au paiement des heures de travail, la cour d’appel a décidé à bon droit, peu important que cette rémunération soit supérieure aux minima légal et conventionnel, que la salariée pouvait prétendre à un rappel de salaire au titre des congés payés et de la période de fermeture de l’établissement excédant les cinq semaines de congés légaux ».
Dernièrement, la Cour de cassation répond au motif avancé par la salariée au soutien de son pourvoi incident et relatif à la prescription applicable en cas de demande de requalification de CDD en CDI.
La Chambre sociale opère une distinction selon que le litige porte sur un problème relatif à un vice de forme ou sur une des conditions de recours au CDD. Dans le premier cas, le délai de prescription a pour point de départ la conclusion du contrat irrégulier tandis que dans le second cas, il s’agit du terme du contrat ou, en cas de succession de CDD, du terme du dernier contrat.
Ainsi, elle invalide le raisonnement de la Cour d’appel qui avait fixé le point de départ de la prescription au jour de la conclusion de l’avenant de renouvellement le 10 juin 2015 et non au terme de ce contrat survenu le 30 juin 2016.
Sur ce point, la Cour de cassation renvoie les parties devant la Cour d’appel de Versailles, autrement composée.
https://www.courdecassation.fr/decision/6566e2e918106f8318ba9e8e