Pendant longtemps le reclassement des salariés inaptes a été le cauchemar des employeurs compte tenu d’une jurisprudence que l’on pouvait s’autoriser à penser légèrement scandaleuse.
En effet, déclaré inapte à tout poste de dans l’entreprise, le salarié obtenait quasi systématiquement gain de cause en invoquant l’existence d’un groupe autorisant son reclassement et une insuffisance de recherches au sein de ce dernier.
Le médecin du travail, invité à se prononcer sur la nature des postes de reclassement possibles, bottait fréquemment en touche prétextant ne pas connaitre les entreprises du groupe et in fine des employeurs étaient condamnés pour ne pas avoir proposé à un salarié travaillant Dunkerque un poste à Madrid, alors qu’il avait refusé un emploi à 20 kilomètres de son domicile dans la filiale la plus proche…
Cette saga judiciaire a pris fin avec la modification de l’article L. 1226-2-1 du Code du travail qui est désormais ainsi rédigé : « Lorsqu’il est impossible à l’employeur de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s’opposent à son reclassement.
L’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l’article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
L’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l’article L. 1226-2, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail.
S’il prononce le licenciement, l’employeur respecte la procédure applicable au licenciement pour motif personnel prévue au chapitre II du titre III du présent livre »
A noter que le texte avait justement été modifié de manière à clore le débat du reclassement au sein des groupes en évoquant le maintien dans « un emploi » et non comme dans la rédaction initiale « dans l’emploi ».
C’était sans compter sans l’imagination de certains praticiens médicaux comme en atteste la décision de la Cour de cassation du 8 février 2023 ici commentée.
Dans cette affaire une salariée a été engagée le 2 novembre 2001 en qualité d’employée polyvalente de restaurant par un comité d’établissement (CE).
Placée en arrêt de travail à compter du 31 mai 2016, la salariée avait été déclarée inapte à son poste suivant avis du médecin du travail du 11 juillet 2017 en ces termes : « Inapte. « L’état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi » dans cette entreprise. Echange avec l’employeur en date du 4 juillet 2017 (étude de poste faite). »
Licenciée pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement le 20 juillet 2017, la salariée a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes relatives à l’exécution et la rupture de son contrat de travail.
Ayant été condamné par la Cour d’appel pour manquement à son obligation de reclassement au sein au sein de la société Bio Sp. au motif qu’elle aurait fait partie du même groupe, ce CE (devenu CSE) s’était pourvu en cassation et se prévalait notamment de l’avis médical et de la référence à un obstacle à un reclassement dans un emploi.
Toutefois, selon la Cour de cassation « L’arrêt constate que le médecin du travail a mentionné que l’état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement dans cette entreprise et relève l’existence d’un groupe de reclassement constitué du comité social et économique et de la société Bio Sp. La cour d’appel en a exactement déduit, hors dénaturation et sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que l’employeur n’était pas dispensé de rechercher un reclassement au sein de la société Bio Sp. et avait ainsi manqué à son obligation de reclassement ».
Cette décision est critiquable pour deux raisons :
1/ En premier lieu affirmer qu’un CSE et une société forment ensemble un même « groupe » est une… aberration. En effet, même si la Cour de cassation n’a jamais souhaité s’enfermer en la matière dans une définition empruntée au droit des sociétés (en acceptant par exemple d’étendre l’obligation de reclassement à un GIE ou à un réseau de franchisés…) comment imaginer un seul instant qu’un CSE puisse exiger de la société qui l’a mis en place une liste des emplois disponibles (l’inverse étant aussi vrai) et en présence d’un poste compatible que ce même CSE puisse imposer un quelconque reclassement ?
2/ En second lieu en acceptant de donner une portée juridique à la formulation « particulière » du médecin du travail, la Cour de cassation ne risque-t-elle pas de créer une mode et ainsi relancer le contentieux que la réforme avait justement eu pour objectif de tarir ?
Nous ne pouvons que vous inviter à être particulièrement vigilants lors de la réception des avis d’inaptitude.
Source : Cass. soc. 8 février 2023 Pourvoi n° 21-11.356