Après être revenue sur le régime de la charge de la preuve des heures supplémentaires, la Cour de cassation s’intéresse aux modes de preuve des heures supplémentaires par l’employeur dans un arrêt du 7 février 2024 (n° 22-15.842).
Dans cette espèce, une salariée a saisi la juridiction prud’homale, en sollicitant notamment le paiement d’heures supplémentaires.
Au soutien de sa demande, la salariée produisait les éléments suivants :
- un tableau récapitulant les heures invoquées,
- un décompte hebdomadaire,
- des relevés d’heures qu’elle effectuait chaque jour, qu’elle aurait établis après avoir déduit les récupérations dont elle avait bénéficié et les heures supplémentaires qui lui avaient été effectivement réglées,
- ainsi que deux témoignages indiquant qu’elle « mangeait en 10 minutes » le midi et réalisait « beaucoup d’heures supplémentaires ».
De son côté, l’employeur versait aux débats les éléments suivants :
- les bulletins de salaire,
- le cahier de relevés d’heures produit par l’employeur, qui mentionnait chaque jour de manière manuscrite les heures accomplies par sa salariée,
- des témoignages selon lesquels la salariée prenait au moins une heure de pause pour déjeuner et n’accomplissait pas d’heures supplémentaires.
Au vu des éléments produits de part et d’autre, le Conseil de prud’hommes, puis la Cour d’appel ont considéré que la salariée n’avait pas effectué les heures supplémentaires alléguées.
Devant la Cour de cassation, la salariée a soutenu que l’employeur avait l’obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur.
Elle considérait que le juge ne saurait tenir compte des documents produits par l’employeur s’ils ne proviennent pas d’un tel système.
De quoi circonscrire drastiquement la typologie de preuves admises en matière de durée du travail pour les employeurs, quand les salariés peuvent produire un grand nombre d’éléments pêle-mêle.
La Cour de cassation ne suit (heureusement) pas le raisonnement de la salariée.
La Haute juridiction rappelle d’abord le régime de la preuve des heures supplémentaires, au visa des articles L. 3171-2 et L. 3171-4 du Code du travail, et confirme que « Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant » (notre précédente actualité du 16 juin 2023 sur l’arrêt du 7 juin 2023 n°21-22.340).
S’agissant du mode de preuve ensuite, la Cour de cassation rappelle que pour la CJUE, les États membres doivent imposer aux employeurs l’obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur afin d’assurer l’effet utile des droits précités (CJUE 14-5-2019 aff. 55/18, CCOO c/ Deutsche Bank).
Pour autant la Haute juridiction atténue la portée d’une telle règle, en retenant que « L’absence de mise en place par l’employeur d’un tel système ne le prive pas du droit de soumettre au débat contradictoire tout élément de droit, de fait et de preuve, quant à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies. »