Depuis les arrêts de la Cour de cassation du 22 décembre 2023, des moyens de preuve déloyaux peuvent être présentés au juge dès lors qu’ils sont indispensables à l’exercice des droits du justiciable, sous réserve toutefois de ne pas porter une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse.
La Haute juridiction, dans sa décision du 17 janvier 2024 (n°22-17.474), nous livre la première application des modalités d’exercice de ce droit à la preuve et une précision bienvenue sur le caractère « indispensable » à l’exercice des droits de la défense.
- Quelques mots sur les circonstances de l’arrêt
Après le licenciement de leur responsable hiérarchique, plusieurs salariés sont convoqués à diverses réunions afin d’étudier la nouvelle organisation pour pallier au départ de ce responsable.
Dans ce contexte, le CHSCT est saisi par plusieurs salariés qui évoquent un harcèlement moral déployé par la société lors de ces réunions.
Ces signalements sont également portés à la connaissance de la médecine du travail et de l’inspection du travail.
Le CHSCT n’a pas reconnu l’existence d’un harcèlement moral, constat réalisé en présence de l’inspecteur du travail et du médecin du travail.
C’est dans ces circonstances qu’un salarié sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison d’un harcèlement moral reproché à son employeur.
Ce salarié est ensuite déclaré inapte à son poste de travail, puis licencié pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement.
- Quelle était la preuve dont la recevabilité était discutée ?
Au soutien de sa demande de résiliation judiciaire, le salarié a produit la retranscription de son entretien avec les membres du CHSCT désignés pour réaliser l’enquête, entretien qui a été enregistré à l’insu des membres du CHSCT.
Ce faisant, il s’agit bien d’un élément de preuve obtenu de manière déloyale.
- Cette preuve était elle indispensable à l’exercice des droits de la défense ?
La chambre sociale rappelle la solution retenue par l’Assemblée plénière, de portée générale :
« dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi »
Ce principe étant rappelé, la Cour de cassation confirme la position de la Cour d’appel qui avait conclu à l’irrecevabilité de cette retranscription, aux motifs que :
– le médecin du travail et l’inspecteur du travail avaient été associés à l’enquête menée par le CHSCT,
– le constat établi par le CHSCT dans son rapport d’enquête avait été fait en présence de l’inspecteur du travail et du médecin du travail,
– la Cour a retenu l’existence d’un harcèlement moral, après avoir analysé les autres éléments de preuve produits par le salarié.
Par voie de conséquence, la production de la retranscription de l’enregistrement clandestin de l’entretien entre le salarié et les membres du CHSCT n’était pas indispensable au soutien des demandes du salarié.
- Un dernier mot ?
Il semblerait que la chambre sociale apprécie strictement le caractère « indispensable » de la production d’une preuve obtenue de manière déloyale.
Cette décision semble participer d’une volonté de restreindre la recevabilité d’enregistrements déloyaux, qui ne seraient alors recevables qu’en l’absence de tout autre élément…
https://www.courdecassation.fr/en/decision/65a788d6c53a55000879150c