Depuis les arrêts de l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation du 22 décembre 2023, il est admis que les moyens de preuve obtenus de manière déloyale peuvent être présentés devant le juge dès lors qu’ils sont indispensables à l’exercice du droit à la preuve du justiciable, sous réserve de ne pas porter une atteinte excessive aux droits fondamentaux de la partie adverse (Cass. Ass. Plén., 22 décembre 2023, n°20-20.648 et 21-11.330).
Par un arrêt du 10 juillet 2024, la Cour de cassation livre une nouvelle illustration de ce principe, en admettant la production d’un enregistrement réalisé à l’insu de l’employeur pour prouver des faits de harcèlement.
En l’espèce, une salariée licenciée pour cause réelle et sérieuse a saisi le Conseil de prud’hommes afin de contester son licenciement, soutenant avoir été victime de harcèlement moral.
A l’appui de ses allégations, elle produit la retranscription d’un enregistrement de son employeur, réalisé à son insu au cours d’un entretien, de nature à prouver l’étendue des pressions qu’elle prétend avoir subi de la part de celui-ci, afin qu’elle signe une rupture conventionnelle.
Les premiers juges ont écarté des débats cet enregistrement et débouté la salariée de ses demandes, considérant qu’il s’agissait d’un mode de preuve déloyal, et que la salariée avait d’autres choix que de produire l’enregistrement clandestin d’un entretien avec son employeur pour prouver ses allégations de harcèlement.
La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel, rappelant le principe selon lequel une preuve obtenue de manière déloyale peut être produite dès lors qu’elle est indispensable à l’exercice du droit à la preuve.
Or, au cas d’espèce, la salariée faisait valoir, à l’appui de ses allégations de harcèlement, qu’elle avait subi des pressions de la part de son employeur pour signer une rupture conventionnelle, dont l’étendue et la matérialité ne pouvaient être prouvées que par la retranscription de l’entretien réalisé à l’insu de l’employeur. Selon la Cour de cassation, ce mode de preuve, bien que déloyal, était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de la salariée, en l’absence de tout autre élément lui permettant de prouver ses allégations.
Dans un arrêt du 17 janvier 2024 (n°22-17.474), la Cour de cassation avait pourtant rejeté la production d’un enregistrement clandestin par un salarié s’estimant victime de harcèlement moral. Dans cette affaire, la Haute Juridiction avait considéré que la production de cet enregistrement n’était pas indispensable au soutien de la demande du salarié, et que d’autres éléments de preuve qu’il avait produits permettaient déjà de laisser supposer l’existence du harcèlement moral.
Par cette décision, la Cour de cassation confirme la possibilité pour un justiciable de produire aux débats une preuve obtenue de manière déloyale, à condition que celle-ci soit indispensable à l’exercice du droit de la preuve et proportionnée au but recherché, ce qui n’est pas le cas lorsqu’il existe d’autres éléments permettant de rapporter la preuve les faits invoqués.
Cour de cassation, chambre sociale, 10 juillet 2024, n°23-14.900