Par un arrêt du 9 avril 2025 (n°22-23.639), la Cour de cassation juge, pour la première fois à notre connaissance, que lorsque le juge est saisi d’une demande de communication forcée de pièces contenant des données à caractère personnel de tiers, celui ci doit procéder à un contrôle de proportionnalité entre le but poursuivi et les éléments qui sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d’autres salariés.
Aux termes de cet arrêt, la Cour de cassation fournit aux juges du fond un modus operandi à suivre, lorsqu’ils sont saisis (de plus en plus) de demande de communication forcée de pièces, contenant des données à caractère personnel de tiers, afin de rapporter l’existence d’une situation de discrimination (en l’espèce, il s’agissait d’une liste nominative de salariés, comprenant leur date de naissance, leur sexe, le niveau de qualification à l’embauche, les dates de leur évolution de classification, leur salaire brut mensuel, leurs bulletins de paie depuis leur date d’embauche).
Ce contrôle doit s’effectuer en 4 temps :
- D’abord, il incombe au juge du fond de rechercher si cette communication n’est pas nécessaire à l’exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi et s’il existe ainsi un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige. Une telle formulation n’est pas sans rappeler la lettre de l’article 145 du Code de procédure civile.
- Ensuite, le juge du fond doit rechercher si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d’autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant d’office le périmètre de la production de pièces sollicitées au regard notamment des faits invoqués au soutien de la demande en cause et de la nature des pièces sollicitées. A nouveau, ce contrôle est à rapprocher de celui que doit opérer le juge du fond en matière de recevabilité de preuve dite « déloyale » (l’équilibre à rechercher entre le droit à la preuve de la victime présumée et le droit au respect de la vie privée). Cela étant, la Cour de cassation rappelle aux juges du fond qu’il leur est loisible de venir réduire le périmètre des pièces demandées.
- Egalement, il appartient au juge du fond de veiller au principe de minimisation des données à caractère personnel, en ordonnant, au besoin d’office, l’occultation, sur les documents à communiquer par l’employeur au salarié demandeur, de toutes les données à caractère personnel des salariés de comparaison non indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi. A nouveau, la Cour de cassation rappelle aux juges du fond que la communication forcée de pièces peut être assortie de mesures de nature à préserver certaines données à caractère personnel.
- Enfin, il appartient au juge du fond d’enjoindre aux parties de n’utiliser les données personnelles des salariés de comparaison, contenues dans les documents dont la communication est ordonnée, qu’aux seules fins de l’action en discrimination. Ce dernier contrôle, louable, interroge : quid en cas d’utilisation de ces données personnelles à d’autres fins que l’action en discrimination ? Comme le rappelle très justement la Cour de cassation, l’atteinte éventuelles aux droits des tiers ne peut pas être utilement réparée…
https://www.courdecassation.fr/decision/67f615ab3b0cdae54cf3d7f0