Dans un arrêt du 5 novembre dernier (n°23-86.418), la Chambre criminelle de la Cour de cassation revient sur l’articulation des infractions pénales pouvant être recherchées en cas d’accident du travail et les conditions de recevabilité des constitutions de partie civile des ayants droit de la victime d’un tel accident.
Dans cette espèce, un salarié d’une société de couvreurs a fait une chute mortelle, alors qu’il travaillait sur un toit en utilisant une échelle et sans être porteur d’un harnais de sécurité.
Le dirigeant de cette société a été poursuivi devant le juge pénal pour homicide involontaire, par la violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, et mise à disposition pour des travaux temporaires en hauteur d’équipements de travail ne préservant pas la sécurité du salarié.
Au stade de l’appel, il a été relaxé de la première infraction et condamné à la seconde infraction.
Le juge d’appel a également déclaré irrecevables les constitutions de partie civile des ayants droit, respectivement père, mère, sœurs et nièces de la victime, et les a déboutés de leurs demandes.
La Cour de cassation, saisie d’un pourvoi formé par ces ayants droit, a cassé l’arrêt des juges du fond sur trois points :
- Sur la relaxe de l’employeur du chef d’homicide involontaire : la Haute juridiction a considéré que la motivation de cette relaxe était contraire avec celle ayant conduit à la condamnation de cet employeur du chef de mise à disposition pour des travaux temporaires en hauteur d’équipements de travail ne préservant pas la sécurité du salarié, dès lors que les constats qui avaient été faits par les juges du fond étaient dans l’ensemble communs lors de l’examen de chacune de ces infractions et étaient en lien avec l’accident survenu :
« 11. Les juges relèvent qu’alors que l’employeur, présent sur le site, avait rappelé aux ouvriers la nécessité de porter leur harnais de sécurité, la victime ne portait pas cet équipement.
12. Ils précisent que, selon le rapport de l’inspection du travail, [N] [F] a chuté d’au moins quatre mètres, sans que soit déterminé s’il était tombé de l’échelle posée sur la toiture ou s’il se déplaçait sur le toit.
13. Ils ajoutent que les autres employés présents sur les lieux ont déclaré que les échelles utilisées pour accéder à la couverture étaient arrimées et, partant, sécurisées.
14. En se déterminant ainsi, alors qu’ils énonçaient par ailleurs, pour retenir la culpabilité de M. [Z] du chef de mise à disposition pour des travaux temporaires en hauteur d’équipements de travail ne préservant pas la sécurité du salarié, que l’absence sur le chantier où [N] [F] était employé d’un échafaudage conforme, apte à prévenir le risque de chute de hauteur, était en lien direct avec la chute au sol de celui-ci, les juges n’ont pas justifié leur décision » ;
- Sur l’irrecevabilité des constitutions de partie civile des ayants droit : la Cour de cassation a rappelé que ces derniers pouvaient être recevables à procéder à une telle constitution s’ils justifiaient d’un préjudice personnel et direct au sens de l’article 2 du Code de procédure pénale, la question de la compétence matérielle de la juridiction pour examiner leurs demandes indemnitaires étant à traiter dans un second temps :
« Vu les articles 2 du code de procédure pénale et L. 451-1 du code de la sécurité sociale :
17. Il résulte de ces dispositions que si aucune action en réparation du préjudice causé par un accident du travail ne peut, en dehors des cas qu’elles prévoient, être exercée conformément au droit commun, par la victime contre l’employeur, la juridiction répressive doit cependant, si les conditions en sont réunies, déclarer recevable la constitution de partie civile de celle-ci ou de ses ayants droit.
18. Pour déclarer irrecevables les constitutions de partie civile des demandeurs et les débouter de toutes leurs demandes, l’arrêt attaqué énonce que l’accident dont [N] [F] a été victime constitue un accident du travail régi par les dispositions spécifiques du code de la sécurité sociale, desquelles il résulte que la victime d’un accident du travail ne peut exercer aucun recours contre l’employeur conformément au droit commun.
19. En statuant ainsi, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé » ;
- Sur le rejet des demandes des ayants droit : la Haute juridiction est revenue sur la distinction à opérer les concernant pour savoir la juridiction matériellement compétente pour connaître de leurs demandes indemnitaires :
« Vu les articles L. 434-7 à L. 434-14 et L. 451-1 du code de la sécurité sociale :
21. Selon le dernier de ces textes, l’expression d’ayants droit ne concerne que les personnes qui, visées aux articles L. 434-7 à L. 434-14 du même code, peuvent recevoir des prestations en cas de décès accidentel de leur auteur. Les proches de la victime, qui n’ont pas cette qualité, peuvent donc être indemnisés par la juridiction pénale selon les règles du droit commun.
22. Pour déclarer irrecevables les constitutions de parties civiles des demandeurs, l’arrêt attaqué énonce qu’une instance en reconnaissance de faute inexcusable de l’employeur a été introduite devant la caisse primaire d’assurance maladie et qu’un procès-verbal de non-conciliation ayant été dressé, cette dernière a invité les ayants droit à saisir directement le pôle social du tribunal judiciaire.
23. En statuant ainsi, sans rechercher si les proches de la victime se trouvaient dans l’un des cas prévus par l’article L. 434-13 du code de la sécurité sociale leur permettant de percevoir des prestations, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés ».
L’examen de ces trois points est donc renvoyé à une autre cour d’appel qui n’aura à se prononcer que sur les seules dispositions de la décision ainsi censurée portant sur la faute civile du chef d’homicide involontaire et l’irrecevabilité des constitutions de partie civile et ses conséquences, le ministère public et l’employeur n’ayant, semble-t-il, de leur côté, pas formé de pourvoi à l’encontre des dispositions pénales de cette décision des juges du fond.