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Première décision rendue sur l’application du devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre !

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Par jugement du 5 décembre 2023 (RG n°21/15827), le Tribunal Judiciaire de Paris a enjoint la société La Poste, sur le fondement de la loi sur le devoir de vigilance, de compléter sa cartographie des risques et son plan de vigilance.

  • De quoi parle-t-on ?

Le devoir de vigilance a été introduit par la loi n°2017-399 du 27 mars 2017, codifié aux articles L. 225-102-4 et 5 du Code de commerce.

Ces textes contraignent les sociétés mères à l‘élaboration d’un plan de vigilance en matière de prévention d’atteintes graves aux droits humains, à l’environnement,à la santé et à la sécurité des personnes dans le cadre de leur activité, mais également celle des sociétés filiales et des partenaires commerciaux (sous-traitants et fournisseurs) avec lesquels elle entretient une relation commerciale établie.

  • Quelles mesures doivent figurer dans ce plan de vigilance ?

C’est l’article L. 225-102-4 du Code de commerce qui établit la liste des mesures devant figurer à ce plan de vigilance :

– une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation,

– des procédures d’évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, au regard de la cartographie des risques,

– des actions adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves,

– un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements relatifs à l’existence ou à la réalisation des risques, établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives dans ladite société,

– un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et d’évaluation de leur efficacité.

A noter qu’un décret, non encore paru, peut compléter les mesures précitées.

  • Quel était le litige présenté au Tribunal Judiciaire de Paris ?

Le syndicat SUD PTT a demandé au Tribunal Judiciaire de Paris d’enjoindre à la société La Poste de notamment :

– compléter le plan de vigilance, en intégrant, entre autres, des mesures permettant :

o d’éviter le travail dissimulé,

o de prévenir des risques psychosociaux au sein du Groupe, des filiales, des sous-traitants et fournisseurs concernés,

o de lutter contre le harcèlement ;

– procéder à la mise en œuvre effective des mesures de vigilance suivantes :

o  lutte contre le harcèlement,

o  lutte contre le travail dissimulé, y compris en résiliant immédiatement les contrats conclus avec les sous-traitants ou prestataires ayant recours à du travail dissimulé,

o  lutte contre la sous-traitance illicite.

  • Quelle est la portée la décision du 5 décembre 2023 ?

Ce jugement porte sur le plan de vigilance de la société La Poste. On ne saurait donc lui conférer une portée générale.

Cela étant rappelé, il est intéressant de souligner les points suivants :

  1. S’agissant de l’étape initiale de la cartographie, le Tribunal Judiciaire a constaté qu’elle n’était pas conforme, dans la mesure où :
  • elle élabore une description des risques à un très haut niveau de généralité,
  • elle ne permet pas de déterminer quels facteurs de risques précis liés à l’activité et son organisation engendrent une atteinte aux valeurs protégées,
  • l’analyse des risques et leur hiérarchisation se réalisent à un niveau global, au niveau des droits humains et libertés fondamentales, de la santé et de la sécurité et de l’environnement,
  • la hiérarchisation des risques intègre les effets des mesures qui sont déjà appliquées.

               

Par voie de conséquence, la demande d’injonction du syndicat tendant à compléter le plan de vigilance par une cartographie destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation est accueillie.

2. Compte tenu de l’imprécision de la cartographie, en l’absence de facteurs précis de risques, de leur hiérarchisation, « le plan ne permet pas réellement de mesurer si la stratégie d’évaluation est conforme à la gravité des atteintes ».

Autrement dit, les procédures d’évaluation tournées vers les fournisseurs et sous-traitants concernés qui sont contenues dans le plan, notamment concernant le contrôle du travail illégal, n’offrent pas de garantie suffisante quant à la gravité des atteintes identifiées.

Ce faisant, la demande d’injonction à la société d’établir des procédures d’évaluation des sous-traitants selon les risques précis identifiés par la cartographie est accueillie.

3. Concernant le mécanisme d’alerte et de recueil de signalements quant à l’existence ou à la réalisation des risques, la société mère doit établir « qu’elle s’est efforcée de bâtir en coopération avec les organisations syndicales représentatives un mécanisme d’alerte et de recueil de signalements adaptées aux différentes étapes de sa chaîne de valeur », afin de répondre aux exigences posées par l’article L. 225-102-4 du Code de commerce.

Tel n’est pas le cas :

  • des consultations initiales d’un système d’alerte préexistant qui a fait l’objet d’une adaptation,
  • des lettres de convocation sans qu’il ne soit mentionné l’annexe à laquelle les organisations syndicales représentatives pourraient se référer,
  • des 2 slides consacrées au dispositif d’alerte présentées aux organisations syndicales représentatives.

4. Sur la prétention du syndicat tendant à délivrer à la société d’adopter des mesures très précises et concrètes en matière de sous-traitance, de risques psycho-sociaux ou de harcèlement : le Tribunal Judiciaire rappelle la lettre du texte précisant que l’article L. 225-102-4 II du Code de commerce « ne prévoit pas de donner au juge le pouvoir d’enjoindre à l’entreprise de prendre des mesures adéquates spécifiques, mais vise simplement « à faire respecter » à la société mère/ donneuse d’ordre « les obligations prévues au I », dont celle d’intégrer au plan « des actions adaptées d’atténuation des risques ou de prétention des atteintes graves » ».

Autrement dit, le juge ne peut pas se substituer à la société et aux parties prenantes pour leur enjoindre l’instauration de mesures précises et détaillées.

Est donc rejetée la demande d’injonction d’établir des mesures se rapportant :

  • à la prévention du travail dissimulé par les sous-traitants,
  • à la prévention des risques psycho-sociaux au sein de la société mère, des filiales, sous-traitants et fournisseurs concernés,
  • à la lutte contre le harcèlement.

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