Par un arrêt en date du 15 février 2023, la Haute juridiction précise le régime applicable aux procédures d’alerte engagées avant la loi Waserman du 21 mars 2022, et rappelle l’impossibilité de licencier un salarié dénonçant des faits susceptibles de caractériser une infraction pénale, sauf mauvaise foi.
En l’espèce, une salariée engagée en qualité de surveillante de nuit au sein d’une maison d’enfants à caractère social avait effectué, avec le soutien d’un délégué syndical, un signalement, en juin 2018, de la possible constitution d’une infraction au sein de l’établissement.
Ce signalement a occasionné le contrôle par l’Inspection du travail de l’établissement, au cours duquel la salariée, objet du litige, avait remis la copie d’un courriel qui avait été adressé par l’équipe éducative aux responsables de l’association pour dénoncer les possibles agressions sexuelles commises par certains enfants sur d’autres.
A la suite de ce contrôle, l’Inspection du travail adressait un courrier à l’employeur relatif aux postes de veilleurs de nuit et informait le Procureur de la République de la possible mise en danger des enfants présents au sein de l’institution.
Le Procureur de la République engageait donc :
– une enquête pour agression sexuelle sur mineurs, qu’il classa sans suite le 4 décembre 2018 pour infraction non constituée,
– une enquête pour dénonciation mensongère contre la salariée et le délégué syndical en question, mais la classa également sans suite le 4 décembre 2018, en considérant que l’infraction n’était pas suffisamment caractérisée.
La salariée était ensuite licenciée le 31 janvier 2019 pour faute grave. Il lui était notamment reproché d’avoir interpellé l’Inspection du travail et de lui avoir fait état de conditions de travail dangereuses.
Contestant son licenciement, la salariée faisait valoir qu’il était en lien avec la dénonciation des manquements constatés au sein de l’établissement et sollicitait sa réintégration.
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, le 4 juin 2021, requalifiait le licenciement en un licenciement nul et ordonnait la réintégration de la salariée.
Formant un pourvoi en cassation, l’employeur avançait que :
– Le salarié souhaitant dénoncer des actes illicites dont il avait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions devait respecter une procédure graduée, subordonnant la saisine d’une juridiction soit à l’inertie de l’employeur à un signalement interne, soit à l’existence d’un danger grave et imminent ou un risque de dommages irréversibles.
Or, la Société faisait valoir que la salariée n’aurait pas dû communiquer le courriel adressé par l’équipe éducative à l’association puisqu’après celui-ci une enquête interne avait été diligentée, enquête dont la salariée avait eu connaissance mais dont elle n’avait pas fait état auprès de l’Inspection du travail.
– La liberté d’expression incluait de ne pas divulguer des informations mettant en cause la réputation d’autrui sans avoir vérifié que ces informations étaient exactes et dignes de confiance.
Cependant,
- la salariée n’avait pas constaté les faits d’agression sexuelle sur mineurs par elle-même et elle avait gardé sous silence la suite interne donnée à ces agissements tout en s’emparant de documents internes à l’entreprise,
- la Société avait mis en œuvre une enquête à la suite de la dénonciation de faits possiblement assimilables à des jeux à connotation sexuelle, de sorte qu’elle n’avait pas manqué à son devoir de protection de la salariée.
– La protection des lanceurs d’alerte ne bénéficiait pas aux salariés ayant dénoncé des faits de mauvaise foi et que telle était le cas d’une salariée ayant connaissance de la mise en œuvre d’une enquête interne à la suite de la dénonciation de faits assimilables à une agression sexuelle.
La Cour de cassation rejette le pourvoi de l’employeur et relève, au visa de l’article L. 1132-3-3 du Code du travail, que « d’une part, que le salarié qui relate ou témoigne de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions n’est pas tenu de signaler l’alerte dans les conditions prévues par l’article 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 organisant une procédure d’alerte graduée et, d’autre part, qu’il ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance de la fausseté des faits qu’il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis ».
Selon elle :
– bénéficient d’une protection les salariés ayant dénoncé des faits susceptibles de constituer des agressions sexuelles, laquelle ne repose que sur la bonne foi,
– la salariée, pour dénoncer les faits d’agression sexuelle, s’était fondée sur des documents internes à l’entreprise et ne pouvait savoir si ces faits étaient avérés. Au contraire, cette dénonciation avait permis de diligenter une enquête pénale et protéger les enfants présents dans l’association, de sorte que le licenciement était nul.