Dans deux arrêts rendus le 2 mars 2022, la Cour de cassation fournit de nouveaux éclairages en matière de contestation d’un accord collectif.
Pour mémoire, depuis les ordonnances dites « Macron » du 22 septembre 2017, l’article L. 2262-14 du Code du travail enserre, à peine d’irrecevabilité, l’action en nullité d’un accord d’entreprise dans un délai de deux mois à compter :
- De sa notification pour les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise ;
- De sa publication sur Légifrance pour les autres parties intéressées.
A ce sujet, le Conseil Constitutionnel avait eu l’occasion de préciser, dans sa décision du 21 mars 2018 portant sur la constitutionnalité des ordonnances, que ce délai, certes court, n’était pas de nature à méconnaître le droit à un recours effectif, dès lors que les salariés conservaient naturellement la possibilité de contester, sans limite de durée, la validité d’un accord d’entreprise par voie dite d’exception, soit dans le cadre d’un litige individuel dans lequel la validité de l’accord n’est remise en cause qu’à leur égard – ce que les praticiens connaissent bien s’agissant, notamment, des accords relatifs au forfait annuel en jours.
Dans ce contexte, se posait la question de savoir si une organisation syndicale ou un CSE disposait de cette même « souplesse » procédurale reconnue aux salariés s’agissant de leurs propres contestations des textes conventionnelles par voie d’exception.
La Cour de cassation répond, pour la première fois à notre connaissance, par la positive dans les deux hypothèses en se fondant notamment sur le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne.
Dans le premier arrêt (n° 20-16.002), un comité d’établissement d’une grande enseigne d’ameublement contestait la validité d’un accord d’entreprise relatif au dialogue social en ce qu’il écartait la consultation des comités d’établissement, au profit du seul comité central, pour les consultations obligatoires sur la politique économique et la politique sociale.
La société faisait valoir que la validité de cet accord ne pouvait plus être remise en cause par le comité d’établissement, le texte n’ayant fait l’objet d’aucune action en nullité dans le délai de deux mois prévu par l’article L. 2262-14.
La Cour de cassation écarte cette argumentation et précise qu’un CSE dispose, tout comme un salarié, de la faculté de contester, par voie d’exception, la validité d’un accord dans le cadre d’une action concernant ses propres droits.
En conséquence, la contestation du comité d’établissement relative à l’illicéité de la clause conventionnelle écartant sa compétence en matière de consultation annuelle obligatoire était donc recevable en ce qu’elle portait sur ses droits propres, bien que formée postérieurement à l’expiration du délai de prescription de deux mois.
Dans le second arrêt (n° 20-18.442) une organisation syndicale représentative d’un grand magasin contestait la validité d’un accord d’entreprise, qu’elle n’avait pas signé, prévoyant que le périmètre de désignation des délégués syndicaux d’établissement serait le même que celui retenu pour les comités d’établissement (alors que le Code du travail fixe des critères de détermination plus « permissifs » s’agissant des délégués syndicaux).
Là encore, la Société soutenait que le délai d’action en nullité de l’accord de deux mois était écoulé, de sorte qu’une action en la matière, a fortiori d’une organisation syndicale, ne pouvait plus être admise.
La Cour de cassation écarte également cette interprétation, et juge que même une organisation syndicale dispose de la faculté de contester la validité d’un accord sans limitation de durée à l’occasion d’une instance relative à l’expression de ses droits propres, quand bien même elle n’aurait pas agi dans le délai de deux mois en nullité de l’accord.
Or, la limitation conventionnelle de la désignation d’un délégué syndical concernait bien les droits propres de l’organisation syndicale, en sorte qu’elle était bien admise à contester, par voie d’exception, la validité de l’accord passé ce délai de deux mois.
Il semble ainsi s’évincer de ces nouvelles décisions que la Cour de cassation considère que toute partie intéressée, qu’il s’agisse d’un salarié, d’un CSE ou encore d’une organisation syndicale, dispose de la possibilité de s’exonérer du délai de prescription de deux mois attaché à la contestation d’un accord d’entreprise, dès lors que sa contestation porte sur la validité de l’accord quant à sa situation propre et prend la voie de l’exception.
Notons à ce sujet que la Haute Cour prend le soin de préciser, dans l’une de ses notices explicatives en accompagnement des arrêts, que « la question demeure en revanche plus ouverte s’agissant de l’action d’un syndicat au titre de la seule défense de l’intérêt collectif de la profession ».
En effet, dans la mesure où l’action ne porterait pas sur ses droits propres, rien n’autoriserait, en principe, une organisation syndicale à agir en nullité d’un accord au-delà du délai de deux mois.